–
Pour l’exposition qu’il développe dans le Henry J. and Erna D. Leir Pavilion du Mudam, l’artiste Danh Vo (1975, Bà Rja, Vietnam) prolonge la réflexion qu’il mène depuis plusieurs années sur le travail du sculpteur Isamu Noguchi (1904, Los Angeles – 1988, New York). Cette nouvelle installation, Danh Vo l’a conçue comme un dialogue intime entre sa propre pratique et l’oeuvre de cette figure historique de l’art moderne. La double appartenance culturelle nord-américaine et japonaise d’Isamu Noguchi qui, chez ce dernier, s’exprimait notamment à travers l’expérimentation de formes à l’intersection des cultures asiatique et occidentale, résonne avec les préoccupations formelles, thématiques et conceptuelles liées aux origines et aux transferts culturels qui traversent l’oeuvre de Danh Vo. Aussi, en accord avec les qualités architecturales du Pavillon – sa hauteur, sa luminosité, et sa relation avec son environnement extérieur, le Park Dräi Eechelen –, Danh Vo a imaginé un jardin conceptuel, composé d’une sélection des célèbres lampes Akari créées par Isamu Noguchi et d’une nouvelle installation minérale et botanique qu’il a lui-même conçue.
Les lampes Akari occupent une place unique dans le travail de Isamu Noguchi. Elles couronnent autant son souhait de dépasser le clivage entre objet fonctionnel et oeuvre d’art que celui d’injecter une part de modernité dans des formes traditionnelles. En 1951, au cours d’un séjour à Gifu, une ville du centre du Japon, l’artiste assiste à la traditionnelle pêche de nuit au cormoran. Un spectacle au cours duquel les lanternes accrochées à l’avant des bateaux sont enflammées par les pêcheurs pour attirer le poisson que les cormorans, embarqués dans des paniers, ont pour mission d’attraper. Ces lanternes, qui sont fabriquées selon une technique ancestrale en papier washi provenant de l’écorce du mûrier, passionnent Isamu Noguchi, au point qu’il décide de les actualiser pour qu’elles traversent la modernité. En redessinant et en électrifiant ces lampions, tout en conservant leur enveloppe de papier diaphane et leur particularité d’être pliables, il va ainsi créer les lampes Akari. Aériennes et poétiques, les Akari sont des sculptures lumineuses fonctionnelles, qui continuent à être produites de nos jours. « Je pense que les Akari sont le développement abouti d’une tradition ancestrale », disait Isamu Noguchi.
Suspendues, les lampes Akari forment une canopée sous laquelle se déploie un jardin d’un genre particulier. Les sculptures de Danh Vo, constituées de plaques en grès récupérées en Italie et de souches (de bois) de noyer, reposent au sol, soigneusement assemblées sans aucune fixation adhésive ou mécanique. Certaines de ces sculptures servent aussi de socles à des compositions végétales élaborées à partir de branchages et de plantes provenant de la forêt environnant le musée. Ces agencements évoluent au cours des dix mois d’exposition.
Dans son travail, l’artiste accorde souvent une attention particulière aux fleurs et aux plantes, à leur qualité évocatrice et à leur classification, ainsi qu’à leur capacité d’adaptation à des terres autres que celle de leur origine, dans une histoire marquée par le colonialisme et l’appropriation culturelle.
En 2017, Danh Vo fait l’acquisition d’une ancienne ferme agricole au nord de Berlin, nommée Güldenhof. Il la rénove en complexe artistique abritant une culture maraîchère éco-responsable et un jardin horticole. Pour se familiariser avec ce lieu bucolique qui lui offre la possibilité de s’abstraire du monde et de se ressourcer, Danh Vo entreprend de recenser toutes les espèces florales qui y sont plantées. Il entame une œuvre photographique qui se présente sous une forme documentaire, avec des clichés similaires aux planches en couleur d’un atlas de botanique. A la manière d’un journal personnel, Danh Vo étend par ailleurs cette pratique à ses voyages au cours desquels il photographie les différentes fleurs qu’il rencontre. De format unique, les photographies sont cadrées de façon serrée et rapprochée, puis complétées, par l’écriture calligraphique du père de l’artiste, de l’appellation latine de la fleur. Sur les plus de deux cents photographies que compte ce travail en cours, cinquante-cinq sont présentées au Mudam. L’artiste les a regroupées selon les saisons durant lesquelles elles ont été prises, puis il les a réparties sur les sept murs d’accrochage qu’offre le pavillon. En ceinturant le « nuage » formé au centre de l’espace par les lampes Akari, hiver, printemps, été, automne forment ainsi une ronde qui évoque le cycle de la nature. Les couleurs des cieux et des fleurs photographiés procèdent par touches impressionnistes dont le scintillement souligne le caractère lumineux et éphémère de l’installation.
Danh Vo, artiste d’origine vietnamienne ayant grandi au Danemark, s’est imposé comme une voix essentielle de sa génération. Son œuvre, protéiforme, se déploie à travers des sculptures réalisées à partir d’objets trouvés, d’artefacts divers, de photographies et de textes. Elle est également le fruit d’étroites collaborations avec des membres de sa famille ou d’autres personnes. Elle prend la forme d’installations soigneusement agencées dont la charge symbolique et le pouvoir d’évocation tissent des récits qui font entrer en résonance des événements avec des figures historiques, politiques et sociales. Danh Vo interroge ainsi les processus de construction des identités individuelles et collectives.
La collaboration est un principe récurrent de son travail. En intégrant dans ses oeuvres celles d’autres artistes, il rend hommage à leur héritage. Comme ici, avec Isamu Noguchi, qu’il décrit comme un modèle pour sa capacité à défier les catégories et les hiérarchies communément admises entre art et design, à associer des savoirs traditionnels à des formes contemporaines, et pour son ambition d’intégrer l’art à la vie.
Isamu Noguchi est un artiste américano-japonais, figure majeure de l'histoire de la sculpture du XXe siècle. Son œuvre est traversée par de multiples inspirations, telles que l’enseignement de son mentor, Constantin Brâncuși (1876, Hobița – 1957, Paris), auprès de qui il se forma dans les années 1920, les jardins zen japonais, ou encore ses collaborations avec la danseuse et chorégraphe Martha Graham (1874, Allegheny – 1991, New York) ou l’architecte visionnaire Buckminster Fuller (1895, Milton – 1983, Los Angeles). Toute sa vie durant, il s’est intéressé à la signification et à la fonction des espaces, ceux dédiés à la sculpture, mais aussi aux aires de jeux et aux jardins, comme en témoigne celui qu’il a conçu pour l’Unesco à Paris, Le Jardin de la Paix (1956-1958). Sa réflexion a également porté sur le rôle social, mais aussi spirituel, de l’art dans le monde moderne.