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Né à Taïwan en 1960, Chen Chieh-jen développe depuis les années 1980 une œuvre intimement liée à l’histoire de son pays, interrogeant les structures du pouvoir, l’écriture de l’histoire et la construction de la mémoire collective dans une société qui, du régime autoritaire des Kuomintang (1949–1987) au contexte néolibéral contemporain, a selon lui perdu toute forme d’identité. « À plusieurs reprises, la société taïwanaise a été contrainte à une sorte d’amnésie historique. Elle a perdu la capacité de réfléchir et d’imaginer l’avenir à partir du passé », énonce-t-il. Rendant visibles des aspects de l’histoire et de la situation actuelle occultés, ses œuvres constituent des « actes de résistance » face à cet oubli.
Si le début de sa carrière artistique a été marqué par l’organisation d’actions illégales dans l’espace public puis par un travail photographique à partir d’images d’archives, Chen Chieh-jen se consacre depuis une dizaine d’années à la réalisation d’œuvres vidéographiques ambitieuses. En prise directe avec les questions sociales et politiques soulevées par la situation actuelle de Taïwan, ses films abordent les conséquences de la libération du marché du travail (Factory), la complexité des relations qu’entretient Taïwan avec les deux « empires » des États-Unis et de la République populaire de Chine (Empire's Borders I), les mouvements de résistance des travailleurs (The Route), ou encore les pans oubliés de l’histoire récente de son pays (Empire's Borders II – Western Enterprises, Inc).
Les questionnements soulevés dans ses films relèvent autant de considérations universelles qu’ils évoquent des destins individuels. L’artiste implique généralement dans la production de ses films des acteurs non professionnels issus des mêmes groupes d’exclus – chômeurs, minorités, opposants politiques, activistes – que ceux auxquels il s’intéresse dans ses films. À travers la lenteur et le silence qui les caractérisent, ses films acquièrent une dimension photographique. Pour Chen Chieh-jen, il ne s’agit pas tant d’offrir des reconstructions historiques précises que de rendre palpable les expériences et les émotions des communautés de protagonistes qu’il réunit pour chacun de ses projets.
Rassemblant quatre films réalisés entre 2003 et 2010, l’exposition s’articule autour d’un « cinéma temporaire » installé dans l’espace central. Cette installation vidéo, spécialement conçue pour l’occasion, présente en boucle une scène extraite de son dernier film, Happiness Building I (2012), montrant huit jeunes gens qui, ensemble, mais sans vraiment former un groupe, poussent un chariot de bagages dans le vide – une image métaphorique de la société taïwanaise contemporaine.