Martine Feipel & Jean Bechameil
Le duo d’artistes franco-luxembourgeois Martine Feipel (1975, Luxembourg) et Jean Bechameil (1964, Paris) développe depuis 2008 une œuvre qui interroge l’histoire de la modernité industrielle, et son rôle dans l’évolution de nos sociétés contemporaines. Leur travail s’appuie sur un vocabulaire formel riche de références, tout en sachant les détourner, aux mouvements avant-gardistes du début du XXe siècle, tels le Bauhaus, le constructivisme ou le cubisme. Leur réflexion sur l’héritage du modernisme pointe ses apports et ses errances. Son essor, celui du progrès technique étant à l’origine de l’amélioration des conditions de vie à une grande échelle, mais tout autant responsable d’injustices sociales criantes, et d’une prédation exercée sans retenu sur l’environnement.
Le bas-relief Electric Eclipse (2017) est une pièce sonore motorisée. Deux disques effectuent des mouvements rotatifs coordonnés par un programme d’automatisation développé pour l’industrie robotique. Les deux moteurs magnétiques qui font d’Electric Eclipse une œuvre cinétique sont également issus d’une technologie de pointe qui permet de générer des mouvements fluides, sans à-coups et sans aucune friction mécanique. Les formes géométriques de l’œuvre distribuées selon une grille orthogonale renvoient aux compostions abstraites et rythmées d’artistes comme Auguste Herbin (1882-1960) ou Sophie Taeuber-Arp (1889-1943). Pouvant être présentée avec un rideau qui s’ouvre et se ferme devant elle, Electric Eclipse relève autant de l’écriture chorégraphique que de l’automation. En s’appropriant des technologies destinées à l’industrie pour les détourner de leurs tâches productivistes au profit d’une poésie visuelle, les artistes soulignent l’importance de gagner la maîtrise de ces outils pour ne pas subir leur gouvernance.
Le Cercle fermé (2011) prend ainsi comme point de départ l’architecture de la Ca’ del Duca, bâtisse remontant au XVe siècle qui abrite depuis 1999 le pavillon luxembourgeois lors des biennales de Venise. Cette bâtisse se compose d’une succession de pièces qui ne possède pas, du fait de son ancienneté, de véritables angles droits. Installée à deux pas du Canal Grande, l’œuvre de Feipel et Bechameil répond également au contexte de Venise, ville à bien des égards irréelle et atemporelle. Les artistes ont ainsi, le temps de l’exposition, totalement transformé la Ca’ del Duca en une succession de tableaux illusionnistes, oscillant entre le réel et l’irréel, jouant sur la perte de repères : les droites deviennent courbes, le sol se confond avec le plafond, les orientations basculent. Habitée d’objets inertes et déformés, l’installation semble figée dans le temps. Elle ouvre, au sein de l’espace existant, un espace potentiel. Le titre de l’installation traduit à différents niveaux l’expérience du spectateur : désorienté, comme dans un labyrinthe fermé, il se retrouve aussi au cœur de l’installation et peut y projeter ses propres narrations.